Le Kenya devrait privilégier l’investissement national pour soutenir ses efforts de préparation aux pandémies
9 juillet 2025
Author: Derick Ngaira

Ces dernières années, le Kenya a pris des mesures importantes pour renforcer ses systèmes de surveillance et de préparation et de riposte aux pandémies (S-PPR). La pandémie de COVID-19 a servi de signal d’alarme pour de nombreux pays, dont le Kenya, révélant à la fois des points forts et des vulnérabilités profondes des infrastructures de santé publique et des interventions d’urgence.

Un rapport de cadrage réalisé par l’Institut africain pour les politiques de développement (AFIDEP), dans le cadre du financement de la surveillance et de la préparation aux pandémies, en collaboration avec Globesolute, examine le paysage actuel de la préparation aux pandémies au Kenya, révélant d’importantes lacunes financières, institutionnelles et opérationnelles qui exposent le pays à un risque permanent face aux futures urgences de santé publique.

Progrès et lacunes persistantes

Le rapport constate que le Kenya a réalisé des progrès louables dans l’intégration du S-PPR dans ses documents stratégiques de santé. Le Plan stratégique du ministère de la Santé (2023-2027) et le Plan stratégique de l’Institut national de santé publique (2022-2026) mettent tous deux l’accent sur la robustesse des systèmes de surveillance, la coordination intersectorielle et le renforcement des capacités. Les systèmes de surveillance basée sur les événements (SCE) ont joué un rôle essentiel pendant la COVID-19, permettant une détection et une réponse rapides.

Cependant, ces avancées sont compromises par des faiblesses persistantes. Le budget alloué à la santé au Kenya est constamment inférieur à l’objectif de 15% fixé par la Déclaration d’Abuja, avec seulement 9,7 % du budget national consacré à la santé pour l’exercice 2023-2024. Dans ce budget, la préparation aux pandémies occupe une part disproportionnellement faible. Les allocations pour la surveillance des maladies et la réponse aux pandémies ont également diminué de manière significative, passant d’environ 22% du budget de la santé pour l’exercice 2021-2022 en raison de la lutte contre la COVID-19 à moins de 1% les années suivantes.

La situation est aggravée par une forte dépendance aux bailleurs de fonds extérieurs. Entre 2016 et 2019, le soutien extérieur aux programmes de surveillance est passé de 54,4% à 90,2%, tandis que les dépenses publiques nationales consacrées à ces programmes ont fortement chuté, passant de 32,4 % à 0,8 %. Cette dépendance place le Kenya dans une position vulnérable, notamment face à l’évolution des financements mondiaux.

Il existe également des déficits de financement criants. Le Kenya a besoin d’environ 4,35 dollars par habitant et par an pour maintenir les fonctions essentielles du S-PPR, mais le pays n’atteint pas ce seuil. Le rapport estime un déficit de financement initial de 40 à 50 millions de dollars, avec des déficits annuels continus de 20 à 30 millions de dollars, ce qui entrave les investissements dans les technologies de surveillance, les stocks d’urgence et la formation du personnel de santé.

Seuls 60% des comtés disposent d’installations de diagnostic adéquates. La disponibilité limitée des infrastructures de laboratoire essentielles, des outils de diagnostic et du personnel qualifié affaiblit la capacité du pays à identifier et à répondre rapidement aux menaces sanitaires.

Défis opérationnels et de coordination

Les inefficacités opérationnelles affectent également la performance du système. Les retards de décaissement des fonds, la corruption – en particulier au sein des entités d’approvisionnement comme la Kenya Medical Supplies Authority (KEMSA) – et la coordination fragmentée entre les gouvernements national et des comtés entraînent des doublons, une sous-utilisation du personnel et une faible efficacité des interventions sanitaires au niveau local. Les promoteurs de santé communautaire, qui pourraient être des agents puissants des systèmes d’alerte précoce, restent sous-utilisés en raison du manque d’intégration, de formation et de soutien. Le rapport de l’AFIDEP souligne que, malgré l’existence de stratégies, les systèmes permettant de les mettre en œuvre restent fragmentés. La préparation aux pandémies est souvent considérée comme une intervention par projet plutôt que comme un investissement national de base dans la santé.

Recommandations pour un avenir plus résilient

Pour relever les défis mis en évidence, le rapport préconise une série d’actions stratégiques. Premièrement, il recommande l’établissement d’un cadre juridique par le biais d’une loi sur la préparation et la réponse aux pandémies, qui habiliterait l’Institut national de santé publique du Kenya (KNPHI) à piloter la coordination et la mise en œuvre des efforts de surveillance et de préparation aux pandémies.

Le rapport propose également la création d’un Fonds national de préparation aux pandémies, géré par la Banque centrale. Ce fonds servira à collecter des ressources provenant de différentes sources, notamment les recettes intérieures, les financements des bailleurs de fonds et la taxe de sécurité sanitaire prélevée sur les produits soumis à accises tels que le tabac, l’alcool et les boissons sucrées. De plus, il exhorte le gouvernement à augmenter les allocations budgétaires, suggérant que 1 à 2% du budget global de la santé soient spécifiquement consacrés à la préparation et à la réponse aux pandémies.

Le développement des infrastructures et des ressources humaines est également essentiel. Le rapport recommande d’intensifier le système électronique intégré de surveillance et de riposte aux maladies (e-IDSR), d’élargir les possibilités de formation des épidémiologistes et de déployer des unités de diagnostic mobiles dans les comtés afin de renforcer les capacités de détection précoce.

Afin de garantir la responsabilité financière, le rapport préconise la centralisation et la rationalisation de l’utilisation des ressources au sein d’un pool de ressources PPR unifié, ainsi que la mise en place d’un cadre national d’efficacité des ressources S-PPR pour suivre les performances et améliorer l’impact du financement.

Enfin, le rapport souligne la nécessité d’intégrer la surveillance et la préparation aux pandémies dans la planification à long terme du secteur de la santé. Cette intégration garantit que la préparation n’est pas considérée comme un projet temporaire, mais comme un investissement essentiel, aligné sur les objectifs de couverture sanitaire universelle (CSU) du Kenya.

Conclusion

Au Kenya, des systèmes, des stratégies et des partenariats sont en place, mais sans financement durable, coordination centralisée et appropriation nationale, le pays reste vulnérable aux futures pandémies. Le rapport de cadrage de l’AFIDEP propose une feuille de route opportune et fondée sur des données probantes pour que les décideurs politiques puissent agir en conséquence. Investir dans la préparation aux pandémies n’est pas seulement une priorité sanitaire; c’est un impératif de sécurité nationale.

Lié au: Financement de la surveillance et de la préparation et de la réponse aux pandémies (PPR)

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