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Chaque année, le 25 avril, la Journée mondiale de lutte contre le paludisme est l’occasion de réfléchir aux progrès réalisés dans la lutte contre ce fléau et de renouveler l’engagement mondial pour mettre fin à une maladie qui continue de toucher des millions de personnes dans le monde. Le thème de cette année, « Le paludisme, finissons-en avec nous: réinvestir, réimaginer, relancer », appelle à des investissements soutenus, à des innovations audacieuses et à des partenariats renforcés dans tous les secteurs.
Au Malawi, le paludisme demeure une menace persistante pour la santé publique. Malgré des progrès notables en matière de réduction des cas et des décès, la maladie continue d’exercer une pression considérable sur le système de santé et de perturber le bien-être des familles et des communautés. Avec un objectif national de réduction de l’incidence et de la mortalité dues au paludisme de 90 % d’ici 2030, le Malawi se trouve à un tournant critique, qui exige non seulement davantage de ressources, mais aussi des approches plus intelligentes et plus intégrées. Cet article revient sur les efforts déployés jusqu’à présent par le Malawi pour éliminer le paludisme et examine une dimension essentielle, mais souvent négligée, du défi: l’influence potentielle des projets d’irrigation et/ou de construction de barrages à grande échelle sur la transmission du paludisme et d’autres maladies à transmission vectorielle, et les réponses politiques nécessaires de toute urgence.
L’ambition du Malawi en matière d’élimination du paludisme
L’ambition du Malawi d’éliminer le paludisme en tant que menace pour la santé publique d’ici 2030 est à la fois audacieuse et nécessaire. L’objectif de réduire l’incidence et la mortalité dues au paludisme de 90% est ancré dans le Plan stratégique national de lutte contre le paludisme (2023-2030), qui s’aligne sur les engagements mondiaux pris dans le cadre de la Stratégie technique mondiale de lutte contre le paludisme de l’OMS (2016-2030).
Le Malawi a considérablement amélioré l’accès aux interventions préventives et aux traitements efficaces. Entre 2000 et 2022, la prévalence nationale du paludisme chez les enfants de 2 à 10 ans est passée de 43,9 % à 10,5%, et la mortalité toutes causes confondues des moins de cinq ans a diminué de 48%. La possession d’au moins une moustiquaire imprégnée d’insecticide (MII) par ménage est passée de 38% en 2006 à 82% en 2017, tandis que le traitement préventif intermittent pour les femmes enceintes (TPIp3+) a atteint une couverture de 56% d’ici 2022, avec un nouvel objectif de 85% d’ici 2030.
L’introduction du vaccin antipaludique RTS,S, l’intensification de la prise en charge communautaire des cas et des programmes innovants, tels que les tests et les traitements pilotes du paludisme en milieu scolaire, ont encore renforcé la riposte du pays au paludisme. Ces progrès constituent une base solide pour accélérer l’élimination.
Cependant, les progrès stagnent. Entre 2021 et 2022, le taux d’incidence du paludisme a stagné à 219 cas pour 1 000 personnes à risque. Si la prévalence nationale globale a diminué, la transmission est désormais de plus en plus hétérogène et focalisée. Les foyers persistants, notamment dans la vallée du Shire, les zones riveraines des lacs et les plaines centrales, continuent d’enregistrer des taux de prévalence élevés.
Le risque négligé: l’irrigation et la transmission du paludisme
L’expansion de l’irrigation est au cœur des ambitions de développement du Malawi. Des projets comme le Programme de transformation de la vallée du Shire (SVTP) dans le district de Chikwawa, au sud du pays, visent à transformer les moyens de subsistance en augmentant la productivité agricole, en renforçant la résilience climatique et en améliorant la sécurité alimentaire et des revenus. Cependant, si les avantages économiques et nutritionnels de l’irrigation sont bien connus, ses implications pour la santé publique, notamment en ce qui concerne la transmission du paludisme, sont souvent négligées.
Les systèmes d’irrigation, surtout ceux développés à grande échelle, peuvent créer des environnements propices à la reproduction des moustiques vecteurs du paludisme. Les canaux mal gérés, les mares d’eau stagnante et les champs inondés deviennent des foyers de prolifération des populations de vecteurs. Dans les zones à forte transmission comme la vallée du Shire et les plaines centrales, l’expansion de l’irrigation sans lutte antivectorielle intégrée menace de compromettre les efforts nationaux d’élimination du paludisme.
Les risques sont encore aggravés par les lacunes en matière de politique et de planification. En particulier, la Politique nationale d’irrigation du Malawi (2024), récemment lancée – un document clé guidant le futur développement de l’irrigation dans le pays – ne mentionne absolument pas les maladies à transmission vectorielle ni le paludisme. Bien qu’elle reconnaisse la nécessité de « favoriser des pratiques minimisant les maladies d’origine hydrique », cette référence reste vague et évasive, sans aucune directive opérationnelle pour atténuer les risques liés au paludisme ou aux moustiques. Cette omission est frappante, notamment au vu du lien bien établi entre l’irrigation et l’exposition accrue au paludisme dans les basses terres du Malawi.
Les résultats du Projet de lutte antivectorielle de la vallée du Shire (Shire-Vec), une collaboration de recherche entre la Liverpool School of Tropical Medicine, le Malawi College of Medicine, le Malawi Liverpool Wellcome Programme, l’Université d’agriculture et des ressources naturelles de Lilongwe et l’Institut africain pour les politiques de développement, montrent que la prévention du paludisme est rarement intégrée à la planification ou à la mise en œuvre des projets d’irrigation. Les évaluations environnementales se concentrent souvent étroitement sur l’utilisation de l’eau, la productivité des terres et la qualité des sols, accordant peu, voire aucune attention, aux risques sanitaires. Le personnel local d’irrigation et les agents de santé communautaires travaillent en vase clos, sans cadre commun pour aborder les liens entre l’agriculture et la maladie.
Ce décalage entre la politique d’irrigation et les efforts de lutte contre le paludisme constitue une lacune majeure dans la stratégie d’élimination du Malawi. Si rien n’est fait, il risque d’alimenter un cycle où les progrès du développement se font au détriment d’une augmentation des problèmes de santé, en particulier dans les communautés rurales déjà vulnérables.
Recommandations politiques de Shire-Vec
Des recherches approfondies menées dans le cadre du projet Shire-Vec ont montré qu’il est possible d’améliorer la sécurité alimentaire grâce à l’agriculture irriguée sans accroître le risque de paludisme. Le Malawi peut donc en tirer parti de manière systématique et éviter de compromettre les progrès réalisés au fil des ans dans la lutte contre le paludisme. Pour atteindre cet équilibre, nous exhortons les différents décideurs politiques à prendre en compte les points suivants:
- Les ministères de la Santé, de l’Eau et de l’Agriculture intègrent la lutte et la gestion du paludisme aux systèmes d’agriculture irriguée. Les politiques actuelles relatives à l’irrigation devraient être revues afin d’y intégrer la lutte et la gestion du paludisme.
- Les décideurs politiques et les responsables de la mise en œuvre devraient veiller à ce que les communautés vivant à l’intérieur et autour des périmètres irrigués participent activement aux interventions de lutte contre le paludisme. Cela permettrait d’assurer une plus large acceptation des initiatives de contrôle et de gestion du paludisme.
Conclusion: Mettre fin au paludisme exige une réflexion intégrée
Les progrès réalisés par le Malawi en matière de réduction du paludisme au cours des deux dernières décennies sont indéniables, mais maintenir cet élan nécessite de reconnaître et de traiter les menaces émergentes, notamment celles liées à l’expansion de l’irrigation. Alors que le pays poursuit des objectifs ambitieux en matière d’agriculture et de développement, il doit veiller à ce que la prévention du paludisme ne soit pas laissée de côté. L’omission de la lutte antivectorielle dans la Politique nationale d’irrigation de 2024 met en évidence une lacune critique qui exige une attention urgente. Si le Malawi veut atteindre son objectif d’élimination du paludisme d’ici 2030, les politiques de développement doivent soutenir activement les objectifs de santé publique. Le paludisme disparaîtra avec nous – avec nous tous – et son élimination dépendra de l’audace et de la collaboration que nous apporterons à tous les secteurs.
Cet article a été initialement publié dans Malawi News (du 3 au 9 mai 2025)
Lié au: Projet de lutte antivectorielle de la vallée du Shire (Shire-Vec)