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La célébration de la Journée africaine de lutte contre la corruption ce 11 juillet 2024 qui célèbre le 21e anniversaire de l’adoption de la Convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption nous rappelle que la bonne gouvernance implique un engagement fort en faveur d’un gouvernement ouvert. Elle intègre ainsi toutes les composantes sociales dans le contrôle de l’action publique. Le contrôle citoyen de l’action publique est un élément important de ce processus de reddition de comptes. Le thème de cette année met en avant le rôle intégral des lanceurs d’alerte dans la promotion de la reddition de comptes. Au cours des dix dernières années en Afrique, ils ont mis en lumière la corruption endémique sur le continent. Cependant, le continent est encore très en retard en ce qui concerne leur protection. Ceux qui dénoncent la corruption sont soumis au harcèlement judiciaire, au licenciement abusif, aux menaces et parfois même à la mort.
La Plateforme de Protection des Lanceurs d’Alerte en Afrique (PPLAAF) définit un lanceur d’alerte comme une personne qui divulgue des informations concernant des actes illégaux, illicites ou contraires à l’intérêt général dont elle a été témoin, notamment dans le cadre de son travail, afin de les faire cesser et de provoquer un changement. Les « Luanda Leaks » en Angola, Congo Hold-Up et les « Lumumba Papers » en République démocratique du Congo, le scandale de corruption en Afrique du Sud qui a conduit à la démission de Jacob Zuma de la présidence en 2018, le Glencore Gate dans plusieurs pays sont quelques-unes des principales affaires soulevées par les lanceurs d’alerte. Ces affaires ont secoué les plus hautes sphères des pays africains et ont un point commun : elles ont toutes été dénoncées à la base par les lanceurs d’alerte.
Intimidation et persécution
Malheureusement, les lanceurs d’alerte anti-corruption sont victimes d’intimidations et de persécutions. Le rapport Africa Integrity Indicators (AII) 2024, publié par l’Institut africain pour les politiques de développement (AFIDEP), met en évidence la répression contre les lanceurs d’alerte et les défenseurs de la lutte contre la corruption et des droits humains en Afrique, en particulier les blogueurs et les influenceurs qui publient du contenu en ligne. Les conclusions du 12e tour de l’AII montrent que seuls deux pays, la Namibie (avec une note de 100) et l’Afrique du Sud (avec une note de 75) obtiennent de meilleurs résultats dans cet indicateur.
Le rapport AII 2024 a identifié plusieurs cas de défenseurs de la lutte contre la corruption convoqués par la police, arrêtés et détenus arbitrairement, très souvent poursuivis pour diffamation ou diffusion de fausses nouvelles. Ces délits sont toujours criminalisés dans de nombreux pays de la région, avec des peines de prison ou des amendes disproportionnées, en contradiction avec les principes du droit international des droits humains. Au Cameroun, par exemple, le journaliste Martinez Zogo a été tué le 17 janvier 2023 pour avoir publié et divulgué des « informations secrètes » sur la corruption. Le cas de Martinez Zogo est la preuve que ces attaques contre les lanceurs d’alerte vont parfois jusqu’au meurtre. Le journaliste Martinez Zogo a été enlevé par des inconnus et son corps mutilé a été retrouvé cinq jours plus tard dans un terrain vague à la périphérie de Yaoundé. Zogo enquêtait et rapportait sur des détournements présumés de centaines de milliards de francs CFA impliquant des personnalités politiques et économiques proches du pouvoir.
Des lois restrictives
Certaines autorités utilisent également des lois restrictives pour interdire indûment des manifestations ou des réunions publiques de militants anti-corruption. En Guinée équatoriale, le coordinateur de la plateforme Somos+, Joaquin Elo Ayeto, a été arrêté et détenu pendant deux jours au commissariat de Malabo en décembre 2022 pour avoir organisé une réunion à l’occasion de la Journée internationale de lutte contre la corruption.
Les militants anti-corruption sont également victimes de représailles telles que le licenciement, la suspension ou le refus de promotion. En novembre 2021, l’ancienne vérificatrice générale de la Sierra Leone, Lara Taylor-Pearce et son adjoint Tamba Momoh, ont été suspendus indéfiniment de leurs fonctions deux semaines avant la soumission au Parlement du rapport d’audit annuel dénonçant la corruption au plus haut niveau du gouvernement.
Les militants anti-corruption sont également confrontés à des menaces et des pressions, voire à des agressions, pour révéler leurs sources. Au Mali, Moussa Touré, Président de l’Association malienne de lutte contre la corruption et la délinquance financière, a été enlevé et battu par des hommes en uniforme militaire en octobre 2020. Quelques jours plus tôt, il avait annoncé publiquement sa coopération avec deux lanceurs d’alerte au sein de l’armée qui avaient évoqué divers détournements de primes et de salaires, et qui risquaient des représailles en raison de ces révélations.
Lutter contre la culture de l’impunité
La plupart des pays ont ratifié la convention anti-corruption du continent et tous les États africains ont mis en place des mécanismes nationaux pour lutter contre ce fléau qui porte atteinte à l’État de droit et aux droits humains. Liés par ces conventions, les États doivent notamment respecter, protéger et encourager les droits de ceux qui dénoncent la corruption et défendent les droits humains, notamment en garantissant leur liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique.
Si les gouvernements veulent vraiment honorer leur engagement de lutter contre la corruption et de protéger les droits de l’homme, ils doivent créer un environnement propice au travail des défenseurs de la lutte contre la corruption, notamment en dépénalisant la diffamation et la diffusion de fausses informations. Ils doivent également adopter des mesures concrètes et efficaces pour améliorer et garantir les droits de l’homme de ces défenseurs et leur permettre de travailler sans crainte de représailles.
Les États doivent également lutter contre la culture de l’impunité en menant des enquêtes impartiales, transparentes et efficaces sur les cas de violations des droits des défenseurs de la lutte contre la corruption et en poursuivant les personnes soupçonnées d’en être responsables. Ils doivent mettre en place des institutions anti-corruption solides et efficaces pour soutenir le travail des défenseurs et s’attaquer aux conséquences de la corruption sur les droits de l’homme, ainsi que garantir l’accès des victimes à la justice.
Si les gouvernements n’agissent pas avec fermeté pour garantir les droits de l’homme des défenseurs de la lutte contre la corruption et soutenir leur travail, la corruption continuera de saper l’État de droit, de renforcer la méfiance des citoyens envers les autorités et de porter atteinte aux droits de l’homme.
Lié à : Indicateurs d’intégrité en Afrique (AII), Gouvernance et redevabilité